Tap, tap, tap!…
Sujet : s’imaginer avoir un autre métier.
Tap, tap, tap!… Avec ardeur je viens de mettre le dernier clou à la deuxième semelle des bottines de Madame Chauffel. Eh bien, elles m’en auront fait voir ces bottines à l’ancienne ! J’ai pourtant essayé de convaincre ma cliente que ses chaussures étaient toutes bonnes à mettre au rebut. Mais pour elle ces bottines avaient bien plus qu’une valeur utilitaire : ce sont celles que son défunt mari lui avait offertes pour leurs dix ans de mariage. Elles avaient alors fière allure : noires, demi-montantes à lacets rouges avec deux boucles de dragons en faux argent. Le chic du chic, quoi ! Je me plais à imaginer les lieux parcourus par cette paire émérite : pas des entrepôts ou des quais de gare, plutôt des salons et théâtres, là où elles et leur propriétaire avaient coutume de briller.
Ding, Ding !… Le tintement de la clochette d’entrée m’arrache à ma rêverie. Je contourne la cloison qui sépare mon atelier du comptoir d’accueil. C’est une jeune dame accompagné d’un garçonnet qui doit avoir huit ans.
— Madame ? Qu’y a-t-il pour votre service ?
— Voilà, dit-elle en sortant de son cabas une paire de souliers d’enfant. Ces chaussures font mal à Guillaume. Hein, Guillaume ! Montre à Monsieur où ça te fait mal.
Du doigt Guillaume montre l’endroit :
— Là, ça me serre et ça me fait mal.
Mon diagnostic n’attends pas :
— Oui, le haut de l’empeigne est trop serré, mais c’est pas étonnant avec cette sous-marque de chaussures. Ça, ça vient d’Asie, Madame. C’est pas de la chaussure. Vous les avez payé combien ?
— Quelque chose comme vingt-cinq euros.
— Vingt-cinq euros ! Pas étonnant, Madame. À ce prix-là vous ne pouvez pas avoir de la qualité. Bon, je vais tenter d’élargir le haut de l’empeigne.
— Combien ça coûtera ?
— Dix euros, mais je ne garantis pas le résultat. Votre nom ?
— Duponchel.
— Voici votre ticket. Revenez vendredi. Au revoir.
Je retourne à mon atelier en sifflotant une rengaine car un cordonnier qui ne siffle pas ne peut pas être un bon cordonnier… Voyons voir, ah oui ! ces souliers dont les semelles se décollent. Hum, les colles vieillissent mal, c’est connu… je prends le premier soulier et en arrache la semelle sans trop de difficulté, itou pour le second. Et tout en sifflotant j’attrape la boîte de colle et j’en tartine la semelle intercalaire, point trop quand même. J’applique bien exactement une nouvelle semelle (extérieure) de dimension idoine et j’installe la chaussure sur la plateforme de la presse. Alors je fais descendre la partie supérieure de la presse. Han ! Pression maximale. Elle restera là vingt-quatre heures avant que sa jumelle la remplace.
Bon je mérite bien une pause… Une petite bière avec une barre de chocolat. Ah ! je me sens déjà mieux. Aux suivantes !
Kapadouo le 13 janvier 2020